Voilà voilà 2 ans que cela dure. Maya n'en peut plus. Deux ans qu'elle fait mine de ne pas s'étonner, qu'elle prend sur elle pour rester de marbre, qu'elle se contient pour ne pas faire la remarque qui lui brûle les lèvres. Elle n'en peut plus de garder ses interrogations enfouies au fond de sa gorge. Il faut...
- Bonjour Maya!
Ah, c'est encore arrivé aujourd'hui ! Pourtant elle a fait attention en arrivant dans le secrétariat. Cet immense secrétariat où vont et viennent des dizaines d'employés, des dizaines de formateurs, de stagiaires... Bref, ça brasse beaucoup de monde. Et pourtant, depuis maintenant deux ans, lorsqu'elle arrive au bureau de Paule, c'est à chaque fois la même chose: avant même de croiser son regard, elle est capable d'anticiper la venue de Maya. Au début, on aurait pu croire à un hasard...mais après deux semaines, c'est devenu une étrangeté qui s'est lié en énigme puisque en mystère. La grosse boule de poils est passée de question lancinante à véritable obsession : comment Paule arrive-t-elle à deviner sa venue?
Maya a imaginé qu'elle connaissait son emploi du temps. Mais il lui est arrivé de venir toquer à la porte de Paule un jour où elle ne travaillait pas:
- Oui, Maya ! Entrez !
Paule a toujours ce petit sourire amusé qui anime son regard. Maya s'évertue à dissimuler son trouble et demande tel ou tel papier. Elle profite du moment pendant lequel Paule prépare les documents pour observer le bureau : il n'y a pas cet écran de contrôle qu'elle avait imaginé, ni de jour sous la porte, ni de fenêtre donnant sur le couloir, la porte en verre ne laisse passer que la lumière... Rien, absolument rien ne lui permet de deviner qui arrive derrière la porte.
Une autre fois, elle avait imaginé que c'était son pas, ses talons, son parfum, le bruit dans les escaliers qu'elle a l'habitude de monter en vitesse (il n'y a qu'une quinzaine de marches, elle frime bêtement). Elle était venue nue (elle se considère comme tel lorsqu'elle n'a pas ces quelques gouttes de numéro 5 dans le cou), en baskets, elle avait monté les marches lourdement, une à une...
- Bonjour, Maya ! Vous allez bien ?
Diable ! Comment pouvait-elle deviner qu'elle était derrière la porte?
Ce soir-là, en rentrant chez elle, elle a eu un déclic : la porte en verre ne laissait certes passer que la lumière mais aussi les couleurs! Heureuse de cette découverte, elle n'avait qu'une hâte : celle de retourner au travail le lendemain. Habillée en noir.
- Bonjour Maya ! Quel beau soleil, aujourd'hui, n'est-ce pas ?
Encore raté. Maya avait l'impression de jouer le personnage de Coyote tentant vainement d'attraper Bip Bip.
Aujourd'hui, Maya a décidé de rendre les armes. Tant pis pour sa fierté. Tant pis si elle passe pour une folle. Tant pis... Elle veut savoir. Elle lui explique, elle lui demande, cachant difficilement son exaspération.
Le sourire de Paule se fait soudain mystérieux.
- Dans ma jeunesse, j'ai été enfant de chœur. Oh, j'ai tout oublié depuis ! Mais je me souviens que le curé faisait souvent référence à l'épître de Saint-Paul : ''Les voix de Dieu sont impénétrables.''
Sévère déconvenue que cette explication qui n'en n'était pas une.
impénétrables...
Mais, déjà, le cerveau de Maya se met en branle, à la recherche d'une autre idée.