- Mutti, je me demandais... Qu'as-tu fait des lunettes de la grand-mère ?
Quelle déception ce fut pour Maya d'apprendre qu'elle n'était pas certaine de les avoir gardées ! C'est tellement personnel, quand on y pense, des lunettes...
Maya se souvient de ce jour où elle les a eues dans les mains pour la première fois. Il y a eu une sorte de connexion étrange qui l'a beaucoup troublée. Elle ne l'a pas connue mais en les prenant délicatement, en promenant son regard sur les fines branches, en regardant la correction, en appréciant leur taille, elle pouvait voir apparaître, avec une acuité certaine, sa grand-mère, partie avant sa naissance. Elle sentait sa présence, bienveillante. C'est étrange, le pouvoir de nous rapprocher que peut avoir un objet.
Quoique déçue, Maya se tait : inutile de faire regretter à sa mère le choix de s'en défaire.
Elle change de sujet pour montrer que cela lui est égal. Elle pose mille et une question, friande de détails. Car c'est avec ces lunettes chaussées sur son nez qu'elle a passé tant de temps à lire. Parfois, elle se demande ce qu'elles auraient pu se dire toutes deux de leurs lectures.
Tous les mardis, une bibliothèque ambulante s'arrêtait devant la maison. Mutti ne sait plus si c'était toutes les semaines où tous les quinze jours. Maya la questionne, la questionne... Elle aimerait savoir tant de choses ! Combien de livres lisait-elle? Dans quelle langue? Quels auteurs ? Quels titres ? Avait-elle une carte pour emprunter ces livres ? Oh, comme elle aurait aimé savoir ce que lisait sa grand-mère ! Comme elle se serait sentie proche d'elle !
Maya s'interroge et s'imagine difficilement - elle n'a qu'une vague idée de sa grand-mère. Elle sait qu'elle a exactement son caractère et... ses cheveux. Cela attendrissait toujours sa mère lorsqu'elle la coiffait, enfant.
Oma. Oma, lectrice... Parlait-elle avec ce ou cette bibliothécaire ambulant(e)? Parlait-elle d'ailleurs avec quelqu'un de ses lectures ? Aurait-elle regardé ce soir cette émission littéraire avec elle?
Oma, lectrice. Oma dans sa chaise... Elle passait des heures à lire dans le jardin, sous un arbre. Et cela faisait ''parler'', dans le voisinage. Lire? Quelle perte de temps !
- Ça fait trois heures qu'elle est là, en train de feuilleter son livre... avait fait remarquer en polonais le voisin, à son Pépé.
Toujours pleine de répartie (Maya, vous dis-je !), lorsque son mari lui a reporté ces paroles, elle avait rétorqué :
- Ça fait trois heures qu'il est là aussi, en train de m'observer !
Maya croit la voir, ce mardi, assise sur les marches de l'escalier. Patiemment, elle attend la bibliothèque ambulante. À côté d'elle sont posés un, peut-être deux bouquins.