6 Mars 2013
Difficile de rester de marbre en lisant cela : quarante-cinq États américains ont décidé que l’écriture cursive (et non de toute forme d’écriture manuscrite) ne serait plus obligatoire dans l’enseignement à l’école primaire. Je suis, comme beaucoup, pantoise, perplexe, sur le cul, étonnée, abasourdie… Les mots me manquent.
Déjà, les réseaux sociaux s’emparent du sujet, opposant les accros du clavier aux défenseurs de la plume. Les premiers hurlant aux réactionnaires, les seconds dénonçant les inconscients. À long terme, n'est-on pas en droit d'envisager la disparition de toute forme d’écriture manuscrite? Et alors quoi? Sus à la contestation?
Je frémis toujours, en passant devant ce "Pompey vivra", non loin de chez moi, symbole d'une époque révolue...
Sonnera-t-on la fin des grafiti? Pourquoi pas?Après tout, disent certains, il y a des ordinateurs partout…
Effectivement…
Et puis, renchérissent d’autres, certaines écritures sont parfaitement illisibles. Alors quoi ? Tout le monde doit avoir rigoureusement la même écriture ? Pourquoi pas les mêmes vêtements, la même coupe de cheveux, tiens, le même uniforme ? Allons-nous donc refuser toute expression personnelle ? Toute forme d’individualité ? L’imperfection des écritures font précisément tout leur charme !
Au moment où j’écris sur un clavier, je regarde pourtant mes stylos, avec tendresse : jamais les touches ne me procureront autant de plaisir que l’écriture cursive. Le plaisir de choisir un papier, un crayon, un feutre, une plume, une couleur et d’en garder non pas une copie mais un original, ne sera jamais remplacé.
Il y a une certaine sensualité dans l’acte d’écrire…
J’aime lire l’écriture de ceux que j’aime: tremblante pour la grand-mère tremblante, pressée pour le collègue, maladroite pour l'enfant, avec des ronds sur les i pour l'adolescente, raffinée pour l'amoureuse, précise et ronde pour l'instituteur, saccadée pour le médecin...
J'aime percevoir, à travers elle, une personnalité, des émotions… tant de choses que le plus sophistiqué des smileys ne saurait traduire avec la même fidélité.
C’est bien ce qui est regrettable, à notre époque: on choisit d’abandonner certaines habitudes, certaines valeurs, au motif qu’elles n’apportent rien de concret, ne sont pas rentables, au regard des efforts qu’elles exigent.
Ce n’est pas ainsi que je fais mes choix, dans la vie: les coups de cœur m’apportent plus que ce que me dicte la raison, une raison qui n’est, à l’évidence, pas la mienne.
Que les accros aux claviers se gardent de m'accuser de tenir un discours de conservateur. Qu’ils regardent plutôt par-dessus leur épaule : l’ombre menaçante de la reconnaissance vocale, qui viendra à bout de ces touches, plane dangereusement…