Violence des contrastes. Des couleurs plus jolies les unes que les autres : un des plus beaux oranges, intense. Un jaune vif qui cohabite avec un rouge foncé. Et ce bleu, profond, qui épouse cet improbable vert canard.
- Monsieur Superfé…Quoi ? Tu aurais pu lui donner un nom plus simple !
Autant de syllabes que de couleurs. En fait de prêt-à-porter, c’est de la haute couture que Maya a offert à ce faisan doré tombé du ciel. Et c’est un clin d’œil à Madame Superfétatoire d'En attendant Bojangles.
Maya boit son café derrière la baie vitrée, scrutant le jardin, les branches des sapins, à la recherche de la moindre de ces taches colorées. Elle fixe le parterre autour du sapin, là où Monsieur Superfétatoire aime gratter le sol, à la recherche de quelque ver de terre aventureux. C’est triste, mais c’est la nature. D’ailleurs elle sait que ses jours à lui aussi sont comptés : un faisan doré échappé d’une volière n'est pas prêt à affronter la vie sauvage ! Paul l'avait avertie.
Ne pas s’attacher. Elle s’était contentée de mettre une belle gamelle dans le jardin. Omnivore. Qu’est-ce qu’on donne à un omnivore ? Des graines. Tiens, un peu de salade, il appréciera. Un peu d’eau, même s’il peut en trouver partout. Ne pas s’attacher. Juste s’approcher de lui. À deux mètres, il n’est pas sauvage. Avec superbe, il regarde Maya. Magnifique. Elle chuchote. Monsieur Superfétatoire, vous êtes beau !
Deux merles s’aventurent près de l’assiette du phénix absent. Leur bec, jaune orangé, les rend facilement repérables. Une fois n’est pas coutume, Maya ne leur prête pas la moindre attention. Concentrée. Elle recherche ses belles couleurs. Sa huppe dorée, puis sa collerette orangée sur laquelle courent des rayures noires surgiraient sans crier gare. Telle une boule de flamme, il jaillirait de ce paysage hivernal. Elle sourirait, ravie. Descendrait à sa rencontre, immédiatement-doucement (permettez-lui cet affreux adverbe qui la consolera). Lui chuchoterait sa beauté. Monsieur Superfétatoire, vous m'êtes indispensable.
Son regard s’arrête soudain devant le sapin. Orange, intense. Jaune, vif. Bleu, profond. Vert canard. Rouge foncé. Ou rouge sang. Toute cette beauté dans ces plumes réunies sur une seule et aimable bête. Hier, superbes, elles jonchent tristement le sol. Un renard aura fait bombance avec son faisan doré. Maya s’accroupit. Gageons que sa fin a été aussi rapide que violente.
Bêtement, Maya l’avait déjà imaginé, vieillissant dans le jardin. Il avait été rappelé à l’ordre : on ne goûte pas à la liberté impunément, dira l'épitaphe. Ainsi est la loi de la nature, dure avec le ver de terre aventureux comme avec le faisan doré fugueur.