Maux modernes

Publié le par Lilou

Maux modernes

Parmi les preuves d'amitié que Vacei sert à Maya se trouve, en deuxième position, les déjeuners japonais. Il a en horreur l'infernal trio sushi maki sashimi et se console avec des nouilles et le sourire de son amie. Il demande, stoïquement, des ''vrais couverts'' au serveur et commande du bout de ses lèvres condescendantes, un vin rouge.

Mais le plus beau de ses sacrifices, le plus remarquable de tous, c'est lorsqu'il accepte de l'accompagner au musée d'art. Moderne. L’art moderne de hurler en silence, Vacei le maîtrise divinement. Il accepte, hydrofuge, de s’immerger dans des univers qui le laissent invariablement perplexe. Taciturne, il suit Maya qui déambule d’une installation à l’autre.

Il faut dire que l’art moderne a de quoi en décourager plus d’un. Qui n’a pas les clés pour comprendre est tenté de baisser bras et lever les yeux au ciel. Et presser le pas vers la sortie, marmonnant le leitmotiv du gamin de 2 ans qui pourrait aussi bien faire.

Maya s’accroche : elle lit les cartels, un peu, au début des expositions. Parfois, quand elle reconnaît un surveillant de salle, elle demande des explications. Et soudain, tout prend son sens. Triomphale, elle impose un large sourire à son ami. Il faut toujours laisser sa chance à l’art, elle en a toujours été convaincue.

Dans la mesure du possible. Moineaux, mésanges et hirondelles. Empaillés. Par dizaines. Emmaillotés dans des petits tricots de toutes les couleurs. Au glauque du cercueil de verre où sont alignés ces petits corps vient s’opposer le discours enthousiaste (incongru) de la guide. L’artiste sortait de chez elle quand elle a marché par inadvertance sur un petit corps sans vie. Elle l’a ramassé, faisant de cette boule de plumes le premier petit soldat de sa collection. Lui donner une deuxième vie, tel était son désir. Comme à un vieux lave-vaisselle dont les pièces serviront à une autre machine. Et puisqu’il y a une vie après la mort - plus cruelle, omet-on souvent de préciser - l’artiste a affublé son installation d’un sinistre sobriquet. Les Pensionnaires.

Vacei parade en silence dans les allées du cimetière. Triomphe de la raison et du bon sens. Maya l’ignore avec superbe, s’efforce à cacher son écœurement et s’éloigne de ces petits Ramsès pour s’intéresser à une toile blanche. La guide, au comble de son excitation, explique que le peintre est son petit chouchou de l’exposition. Un rictus se dessine sur les lèvres de Vacei. Si Roman Opalka est un artiste franco-polonais, c’est sûrement la seule chose qu’il partage avec son ami. Enfant, il est comme hypnotisé par les mouvements du balancier d’une pendule. Et c’est ainsi qu’il décide de peindre… les nombres. Sur une toile. En commençant par 1, en 1965. Et en finissant par plus de 5 millions en 2011. Sur fond noir. Un fond noir qu’il se met à diluer à chaque nouvelle toile avec un peu de blanc.

Maya se dit qu’il devait ressentir à chaque nouveau tableau une sorte d’excitation à l’idée de s’approcher à chaque fois un peu plus d’une toile immaculée. Plus de 230 tableaux. Prosaïquement, Vacei pense que certains ont du temps à perdre.
Les amis se regardent. Se disent tout en silence. Se sourient. Un Bourgogne et une planche de charcuterie feront l’affaire.
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