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Commémoration

par Lilou 8 Mai 2019, 20:18 Ça - c'est dit...

Les cousins du sud sont là, pour le plus grand plaisir de Maya : c’est, à chaque visite, la promesse de chaleureuses retrouvailles et de discussions passionnées. Seule ombre au tableau, seul point de discorde entre eux, seul sujet sur lequel ils demeureront irréconciliables : la pertinence de prononcer le S à ''moins''... Si ce son disgracieux heurte ses sensibles oreilles, elle se régale, Nancéienne, en les entendant parler de Metz, avec une finale sifflante qui hérisse les Mosellans.  À quelques jours du derby, c'est de bonne guerre.

Il est bientôt onze heures et demie. Le site de la commune indiquait cet horaire pour les commémorations du 8 mai : rendez-vous devant la mairie puis départ du cortège pour le monument aux morts pour dépôt de gerbe.

Maya a pour habitude d’aller à Nancy pour ce jour spécial. Aujourd’hui, une fois n’est pas coutume, elle choisit de se rendre au village. Son cousin est prêt. Il pleut à verse, qu’importe. En novembre, elle est invariablement frigorifiée mais elle se dit qu’elle peut bien rester une heure debout dans le froid, quitte à se casser le dos, s’enrhumer et s’impatienter pendant les discours interminables qui bouffent la solennité du moment. On leur doit bien ça, à ces pauvres gars.

Le cousin met sa casquette, Maya se couvre d’une capuche. Ils pressent le pas : même si c’est au bout la rue, il est déjà 22. Ils ne parlent pas ou peu. Maya est dans ses pensées. 25 : ils arrivent au bout de la rue, tournent sur leur droite et avancent devant la mairie. Déserte. Son cousin la regarde, interrogateur. Maya tourne la tête de l’autre côté de la rue : l’annexe de la mairie est ouverte. Les gens ont dû trouver refuge là-bas en attendant que le cortège soit au complet. Elle traverse la voie, entre dans le vestibule qui donne sur la salle principale. Tout est ouvert, il y a du monde. Tant mieux, ils n’étaient pas en retard.

Maya passe sa tête dans l’encadrement de la porte. Il y a une petite vingtaine de personnes qui ne prêtent pas attention à elle, trop absorbées par leurs conversations. Ambiance décontractée, verre à la main, petits fours dans l’autre. Curieux, cet apéro avant la cérémonie. Peut-être même indécent.

Une femme la remarque enfin. Probablement quelqu'un de la municipalité (elle n’a pas vraiment d’accointances avec cette équipe, il faut dire).

-   Je peux vous aider ? (mauvais crémant à gauche, petit four à droite et grosse miette aux commissures des lèvres)

-   Bonjour. Nous venons pour assister à la commémoration. Le site indiquait que le rassemblement se faisait devant la mairie.

La dame a un sourire un peu embarrassé, presqu’un petit rire nerveux.

-   C’est-à-dire que…Comme il pleuvait et que tout le monde était là à 20, on s’est dit qu’on allait avancer l’horaire.

Et envoyer au lance-pierre la gerbe de fleurs pour aller s’empiffrer, vu l'heure.

En fait de gerbe, c’est du dégoût que lui inspire cette commémoration. Maya, d’ordinaire si polie, prête à arrondir les angles, si arrangeante… ne juge pas opportun de lui rendre son sourire. Au diable les convenances. Elle regarde cette miette, qui ne se résout pas à tomber. Un rictus, c'est tout ce qu'elle arrive à exprimer. La femme reprend, précipitamment :

-   Mais… je vous en prie, joignez-vous à nous si vous voulez.

Maya ne répond pas. La salue froidement. Elle sort, suivie de son cousin. Ils échangent un regard. Pas besoin de développer. Ils prennent le chemin pour se rendre au monument aux morts.

Ils lisent les quelques noms des « morts pour la patrie » en faisant le tour du monument. Une minuscule gerbe de fleurs a été déposée – le buffet avait dû leur coûter une fortune. Le cousin enlève sa casquette. Ils sont deux, devant le monument, silencieux.

Le clocher sonne onze heures et demie.

Commémoration
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