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Maya roule des mécaniques

par Lilou 18 Septembre 2022, 22:22 Feu rouge.

C’était une période un peu difficile pour Maya : au niveau professionnel, elle devait encore faire ses preuves (ce qu'on écrit à un élève médiocre dans son bulletin scolaire), et sur le plan sentimental, une page venait de se tourner mais elle ne savait pas trop quoi écrire dessus.

Et puis, il y eut ce jour où la cerise vint écraser le gâteau, le goutte fit exploser le vase et Maya reprit les rênes, avec superbe.

Pensant prendre un chemin qui lui éviterait des bouchons, c’est un chat qu’elle dut esquiver. Et le trottoir qu’elle rencontra. Elle ne l’avait que frôlé mais cela avait suffi pour crever le pneu. Encore un retard à un déjeuner avec une amie qu’elle allait devoir expliquer… Elle rugissait littéralement en sortant de la voiture, furieuse après le félin, furieuse après les BTP, furieuse après la voiture. Et même après le pneu. La cerise, la goutte d’eau, vous m’suivez ?

L’endroit n’était pas franchement le plus rassurant de la ville mais à cet instant précis, Maya était trop occupée à maudire la terre entière pour penser à se méfier du groupe de gars qui arrivait vers elle, d’un pas cool, en baskets, mains dans les poches de jogging et clope au bec. Ils étaient entre six et huit mais la présence de pitchounes d’environ 6 ans la rassura. Deux ados lui demandèrent s’ils pouvaient l’aider et elle répondit avec un soupir signifiant son exaspération – ou sa détresse, c’est selon.

Un homme plus âgé, autour de la cinquantaine, prit le contrôle des opérations. Tout en tirant sur sa cigarette qu’il maintenait entre ses lèvres :

- Vous avez une clé et un cric ?

La mine de dernière de la classe en mécanique de Maya disait tout : ouvre le coffre, fouille partout, fais ce que tu veux mais fais-le avec brio et surtout sans compter sur moi.

Le type avait l’art de parler en maintenant sans difficulté sa roulée entre les lèvres. Il sourit en voyant les sourcils de Maya se froncer, à peine le mot clé prononcé. Il faut dire qu’à chaque fois qu’elle se rendait au garage, c’était pour le plus grand bonheur de son garagiste qui souriait en la découvrant, comme si elle illuminait sa journée – et ce n’était pas avec la flamme de la connaissance.

Et ce fut fait en une dizaine de minutes. Vaguement attentive, Maya prit quelques notes : clé, écrous, cric, châssis, tchac-tchac, galette, serrage en croix pour ne pas oublier d’écrous. Maya remercia vivement le type qui lui dit que ce n’était pas si compliqué que cela de changer une roue. Elle avait d’ailleurs une galette, plus légère mais aussi plus fragile : elle allait devoir rouler doucement jusqu’au prochain garage, à 800 mètres d’ici.

Cinq minutes plus tard, c’était une autre Maya qui arrivait chez le garagiste. Elle avait remis du rouge à lèvres, fatale. Difficile de dire ce qui lui avait pris ce jour-là : elle était comme possédée par le diable lorsqu’elle est arrivée, talons et jupe en jean devant le comptoir du garagiste, avec une assurance déconcertante. Le responsable est arrivé, l’a regardée de la tête aux pieds, l’a fichée « I », pour incompétente et lui a demandé ce qu’il pouvait faire pour elle. Il ne savait pas que c’était une possédée qui allait lui répondre :

- J’ai tapé le trottoir en voulant éviter un berger (un chat, ça s’écrase). Je me suis mise sur le côté pour mettre la galette. Mais bon, c’est du provisoire. Je vous laisse prendre la suite ?

John Wayne.

Personne ne saurait comprendre la jubilation qu’éprouvait à ce moment-là Maya. Un peu comme si le cancre avait obtenu une meilleure note au devoir maison que le premier de la classe en maths (réalisé avec ses cousins matheux – il n’y avait qu’à recopier). Pour une fois, il allait briller ! Maya souriait, extatique le sourire, en allant s’assoir dans la salle d’attente. Elle adressa un hochement de tête au client qui feuilletait un magazine, un hochement de connivence : elle se sentait des leurs, soudain.

Au moment de régler la note, Maya était appuyée sur le comptoir. Elle pouvait s’offrir cette posture, familière. Des leurs. Le garagiste la félicita pour sa roue. Elle ne put retenir un petit sourire faussement modeste. Des leurs. Elle régla la note lorsqu’un mécanicien fit son entrée :

- Dites, Madame, vot’ galette, elle était où ? Je ne connais pas ce modèle de voiture.

Des leurres.

Le prof de maths lui avait rendu sa copie mais lui demandait soudain d’expliquer son raisonnement. La vie était décidément trop cruelle : on vous propulse devant les projecteurs, vous connaissez la gloire, on vous admire. Et l’instant d’après, vous n’êtes plus rien. Même pas capable de dévisser un écrou.

Il se passa une ou deux secondes quand Maya, bien décidée à conserver sa place de première de la classe que jamais plus elle ne retrouverait. Farouchement décidée à ne pas retomber dans l’anonymat des filles qui n’y connaissent rien en mécanique, elle fut traversée par un éclair de génie. La radio locale qui servait de fond sonore s’est soudain éteinte, laissant place à Ennio Morricone. Elle répondit au mécano, nonchalante :

- Oh, mettez-la dans le coffre, je m’en occuperai en rentrant !

Ne t’embête pas avec ça, petit, je vais m’en occuper.

John Wayne, accoudé au comptoir d’un saloon, venait de dégommer Clint Eastwood. L’honneur était sauf.

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commentaires
J
Bravo , fière de toi !
Répondre

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