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"Toute ressemblance avec des faits et des personnages actuels ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coincidence..."

Elle et Lui.

            C’est à chaque fois la même chose : passer le chiffon de poussière dans la bibliothèque est une opération sans fin. Non pas que l’opération soit délicate, non : quoi de plus simple que d’enlever les rangées de livres, les épousseter, et nettoyer les étagères ? Pour Maya, c’est un tonneau des Danaïdes…

 

            Sans Atout et le Cheval fantôme. Lu en classe de cinquième. Probablement Nicolas : lorsque son neveu lui rend visite, il fouille dans les cartons de ses livres d’enfance et lorsqu’ils lui plaisent, il a cette manie de tenter de les réhabiliter en les rangeant dans la bibliothèque. Elle tourne les pages. MAYA 5eA. Mme Carré. La voilà partie.

 

            Ce qu’elle a étudié avec Mme Carré, elle n’en a aucun souvenir. En revanche, la place qu’elle occupait dans la salle de classe, sa voix et l’ambiance qui régnait alors, lui reviennent facilement en mémoire. Elle se voit avec ses camarades, dans la cour, sac au dos, le regard tourné vers la direction d’où descendaient lentement les enseignants, au moment de la sonnerie. Le bâtiment de la salle des profs étant sensiblement plus haut que celui des salles de classe, ils empruntaient un chemin goudronné, en pente. Elle aimait les observer avant qu’ils ne remettent leur masque de prof.

 

            Mme Carré était une jeune femme, grande, mince et souriante. Première leçon d’élégance. Elle portait les cheveux courts et avait une voix grave. Elle quittait souvent son bureau pour regarder par-dessus leurs épaules – promiscuité à laquelle ses collègues de la vieille école ne l’avaient pas habituée. Mais ce que Maya aimait avant tout observer, c’était la fameuse descente, au moment de la sonnerie que l’acariâtre Mme Weber faisait gronder avec un plaisir manifeste devant les mines déconfites. Mme Carré arrivait avec M. Bastien : deux collègues que les élèves, les enseignants, l’administration, les surveillants, les agents fantasmaient ensemble. Ils étaient beaux comme un couple d’Hollywood sous le feu des projecteurs. Ils apportaient du glamour dans ce vieux collège où la plupart des enseignants semblaient nés avec les fondations.

 

            Un jour, Maya et ses amis l’avaient aperçue avec son mari : elle avait comme un voile gris sur son visage, sa tête était penchée vers le sol. Il y avait comme une sorte de résignation dans sa silhouette. Ce voile étrange, Maya le surprenait parfois, pendant les devoirs sur table : elle avait le regard perdu dans le vide et paraissait soudainement si triste.

 

            Sans doute était-ce pour cela que les élèves – Maya la première - voulaient croire en ce couple : Mme Carré et M. Bastien transpiraient de bonheur. Lors des sorties scolaires, avec l’un, l’autre était là. Les élèves étaient bien, avec eux. Quel beau spectacle offraient-ils là ! Et quand les plus hardis leur faisaient des sous-entendus, l’œil goguenard, ils répondaient de sourires gênés qui transportaient leur public : ils étaient si bienveillants et épanouis qu’on ne pouvait que leur vouloir du bien. Fichu voile gris.

 

            Le monde est petit. Autour d’une bouteille de rouge Nadine évoquait hier à Maya la tristesse de l’un de ses collègues. Dont la femme venir de mourir. Sclérose en plaques. Ex-femme puisque divorcés depuis l’année dernière. Ils étaient séparés depuis dix ans. Il s’appelait M. Carré. Pas M. Bastien. Ils avaient un fils handicapé, unique. Fichu voile gris.

 

            Deux heures ont passé. Maya sourit en pensant à ce couple rayonnant qui descendait dans la cour de son collège. Les gens sont loin de suspecter l’onirisme qui peut se cacher derrière une heure de ménage…

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E
Ca me rappelle un couple de profs qui s'est formé plus ou moins sous nos yeux au lycée, plaquant mari et femme. On dit qu'on trouve souvent l'amour sur son lieu de travail :-D
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