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"Toute ressemblance avec des faits et des personnages actuels ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coincidence..."

Tête brûlée.

Tête brûlée.

-         Les merdes, ça vole toujours en escadrille.
Il n’est pourtant pas dans les habitudes de Maya de citer un homme politique. Encore moins de droite.
Imperceptiblement, elle plisse les yeux devant le spectacle de sa tartine de Nutella, tombée face chocolatée contre le carrelage. D’aucuns diront que cela est bien fait. L’huile de palme, etc. Ils brandissent leurs plaques de chocolat équitable tels d'improbables crucifix, tandis que leurs cacaoyers bouffent les forêts. Femme de petite vertu, Maya continuera à tartiner son pain en les regardant droit dans les yeux.

En escadrille. Les yeux de Maya vont du sol au pot, vide. Du pot vide, ils s'écrasent au sol, panse contre la tendre mie - moins dure sera la chute. La sonnerie du téléphone la tire de ses réflexions. Sa sœur arrive à point nommé. Grand luxe que ce petit-déjeuner en visio, un samedi matin. Maya ouvre gaiement un pot de confiture et les voilà parties pour tailler une bavette. Puisque le temps ne s’achète pas en pharmacie, quand les tartines sont avalées, elles continuent à bavarder en vaquant à leurs occupations.
Maya lui fait sa petite fashion week, lui montrant les jolis pulls achetés avant les soldes -  les soldes, c’est ce qui n’est pas vendable. Pas mettable. Pas achetable. C’est acheter compulsivement… un prix. Sa sœur lui présente son énième manteau. Son énième ravissant manteau. Au bout du cat walk sur lequel elles se sont engagées siège la Reine des fashionistas qui réclame de quoi manger. Maya la bourre de pulls et sa sœur la gave des jeans de la semaine. Elles regagnent leur cuisine de concert. Ça sent le deuxième café des frangines.  
Encore faut-il avoir du café : Maya ne découvre guère que trois graines de café abandonnées au fond de la boîte en fer. Déjà vrombissent, au loin, les moteurs. Encore faut-il avoir de la tranquillité, aussi.
-        M’maaaaannnn !!!
La café sera pour une prochaine fois : il y a un déjeuner avec des amis qui se prépare chez sa sœur et la boulangerie du quartier est fermée. On s’rappelle.


Maya chasse les avions d’un coup de main et fait contre mauvaise fortune bon cœur : en souvenir de feu sa Tata, elle a toujours un petit pot de Nescafé spécial filtre qu’elle adore se forcer à boire. Point de masochisme, juste une madeleine qui booste. Là voilà dans la cuisine de sa tante qui touille lentement son café. Elle entend sa cuiller râcler le fond de la tasse. Elle retrouve ce regard bleu perdu dans le vague. C’est comme cela : Maya aime la convoquer quand elle lui manque.
Bientôt 10 heures et demie. Dans la buanderie, bizarrement, l’écran de la machine à laver est encore allumé. 40°. Mazette. Plus qu’à. Elle sort le linge. Devant l’étendoir, elle pend délicatement ses pulls et sa joie tout en jetant des coups d’œil à sa petite sœur imaginaire – à vue de nez, elle devrait pouvoir profiter de cette toute nouvelle taille 1.

*

**

La voix de Chirac raisonne dans sa tête. C’est le moment de prendre son moleskine sous le bras et de filer au café. L'endroit est propice à l'écriture. À défaut d'avoir réussi tout ce qu'elle a entrepris ce matin, elle sera productive à l'écrit. La p’tite Tête brûlée, elle va semer l'escadrille. Pour sûr. 

La serveuse pose l'espresso en lui adressant un clin d'œil complice : depuis le temps, elle ne prend même plus sa commande et lui apporte directement sa tasse. Maya avale une gorgée tout en contemplant ses deux pages d'écriture avec satisfaction.

Arrivent ces deux hommes à la petite quarantaine bruyamment enjouée. Quand ça parle fort et ça rit exagérément, invariablement, il n'y a rien d'intéressant, ni de drôle. Ils prennent place à côté de Maya qui se raidit : adieu, tranquillité. C'est qu'elle a le stylo fragile : s'il se débrouille dans le calme, il s'embrouille dans les conversations et se brouille dans le bruit.
Elle saisit ses armes. Dans son Corsair, ce Pappy Boyington en jupons s'apprête à dégommer ces indésirables et on n'en parlera plus. Sauf que...
- Maya va finir par me rendre dingue avec ses lubies !
En entendant son prénom, son doigt relâche la gâchette. Elle regarde attentivement dans le viseur celui qui a prononcé son prénom. Il parle d'elle, librement, comme si elle n'était pas là. Et pour cause. Cela lui donne l'impression de se découvrir une nouvelle vie. Hop, elle enfile son nouveau costume et se retrouve dans un décor inconnu.
Discrètement, croit-elle, Maya est tout ouïe pour découvrir sa vie parallèle : elle est, à se fier à leurs paroles, une femme audacieuse. En un claquement de doigt, elle devient passionnée par le dessin et, chose moins commune, les primates. Son compagnon poursuit :
- Maya rêvait d'être bonoboïsée depuis des mois. Comme je trouvais cela choquant, voire déplacé, elle s'est mise à douter.  J'ai fini par lui dire que si c'était pour son plaisir... Ah, faut-il l'aimer !
Son interlocuteur s'esclaffe. De la bouche ouverte de Maya peine à s'échapper une question.
- Bonoboïsée ? Mais... 
Il manque juste le son. Même si elle se sent presque légitime dans ce questionnement - après tout, c'est son prénom - elle se tait. Parce que l'audace est aux abonnés absents, la frustration s'invite à sa table. Son coude est posé à côté de la tasse de café, et sa tête repose dans le creux de sa main. L’autre main noircit une page de son moleskine. Sa surprise, son intérêt évident pour la conversation de ses voisins n’échappe pas à son compagnon.
 
- On ne naît pas tête brûlée, on le devient, lui souffle Simone.
Les deux compères partent sur un autre sujet de conversation, laissant Maya en plein désarroi. Comment réclamer la suite de son histoire ? Et quid de ce sulfureux "bonoboïsée" ? Son compagnon la regarde à la dérobade : perdue dans ses pensées, elle dessine sans faire attention. Un singe s'élançant d'une branche à une autre. Une femme, surprise.
La frustration, ça creuse. Lorsqu'elle revient du comptoir avec sa tarte tiède aux pommes, ses voisins ont disparu. Elle trouve un petit mot sous la soucoupe de sa tasse à café, à côté de son moleskine. Tanel app.
Une application.
 
Quel bonobo seriez-vous ? Pointez la caméra face à votre visage, appuyez longuement sur la touche du scanner. Découvrez le primate auquel vous pourriez ressembler. Devis gratuit.
Passionné par La Planète des singes, ce Pierre Boule en culotte courte a créé cette application pour vous donner les traits d’un bonobo.
Tanel. Une expérience captivante.

*

**

Tard, le soir, Maya s'endort, vaguement honteuse, gageant que seul, son compagnon d'un jour, aura eu vent des hérésies qui ont traversé son esprit.

Au loin, l'escadrille se pose. Enfin. 

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