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La beauté cachée de Lady Delait.

par Lilou 11 Mai 2017, 11:01

           Une heure et demie de route pour aller dans les Vosges, c’est long : Maya allume la radio. Dans les brèves, on annonce que ce 10 mai est la journée des mémoires et de réflexion sur la traite, l'esclavage et leurs abolitions. Dans les brèves…

 

*    *    *

 

            Ça a commencé à la fac. Des amitiés se font et l’emmènent en Haute-Saône, dans la petite commune de Champagney. Rue Jacques-Antoine Priqueler. Curieuse, elle cherche qui était cet homme. Il était à l’origine du vœu des habitants de Champagney qui avaient demandé, en 1789, l’abolition de l’esclavage des Noirs. 1789…

            Quelques années après le Mondial, celui de la France Black Blanc Beur, Maya est tombée sur un article consacré à Christian Karembeu. Entre le vœu de Priqueler et 98, il s’en est passé, des choses. Il y a notamment eu cette exposition coloniale à Paris, en 1931. Non loin de là furent exhibés, tels des animaux, des centaines de Kanaks de Nouvelle-Calédonie. Le champion de monde raconte que ses ancêtres furent obligés de porter des peaux de bête et manger de la viande crue pour impressionner les visiteurs.

            Maya en apprend davantage sur les zoos humains, le freak show. Elle lit des choses sur leur origine, avec Phineas Taylor Barnum. Les ménageries humaines de cet homme de spectacle rencontraient un succès monstre en leur temps. D’ailleurs, Maya découvre qu’il s’était intéressé à une Lorraine. Il aurait voulu l’exhiber, comme il l’a fait avec le Général Tom Pouce ou encore les frères siamois Cheng et Eng Bunker (nés en Thaïlande, dans la province de…Siam)

            Elle s’appelle Clémentine Clatteaux. Une Vosgienne née en 1865. Adolescente, sa pilosité au niveau de la lèvre supérieure se développe considérablement au point qu’elle se voit obligée de se raser. Cela ne l’empêche pas de se marier, plus tard avec Joseph Delait, un boulanger.

            Le couple vit paisiblement à Thaon-les-Vosges : monsieur fait le pain que madame vend. Quelle affluence dans la boutique ! Les habitués sont là, les badauds aussi : la barbe est rasée mais elle pique au vif la curiosité des clients. Le commerce tourne à merveille.

            Lorsque la guerre éclate, Clémentine s’engage dans la Croix Rouge et devient la mascotte des Poilus. Un peu de légèreté dans ces terribles moments.

            Après la guerre, le couple qui ne peut avoir d’enfant, adopte la petite Fernande dont les parents sont morts de la grippe espagnole. Pendant que le mari fait le pain, Madame sert à boire au Café de la Femme à Barbe. Femme costaude et de caractère, elle est capable de sortir  des lieux tout indésirable, comme l’eut fait un homme.

            Le couple part vivre à Plombière en 1923 : Joseph souffre de rhumatismes qui l’empêchent de poursuivre son activité. C’est une mercerie qu’elle va décider d’ouvrir. Là encore, on se presse pour la voir.

            Quelques années plus tard, elle perd son époux. Et, société matriarcale oblige, gagne sa liberté : elle fait ses premiers voyages seule, avec sa fille, en Europe. À son retour, elle redevient Thaonnaise et ouvre à nouveau un bar. Assumant pleinement sa barbe, la clientèle afflue, venant parfois de loin, pour l’admirer à Thaon-les-Vosges. Elle a le sens des affaires, Clémentine : les visiteurs peuvent se procurer des cartes postales qu’elle leur dédicace.

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            Maya aime bien cette Clémentine. D’aucuns diront que c’était un « sacré bout de bonne femme ». Elle a pris son destin en mains, la Clém’.

 

*    *    *

 

            Un bip vient d’informer Maya qu’elle est sur la réserve. C’est agaçant de devoir chercher une station. Elle prend machinalement la première sortie qui s’offre à elle Z.I. Inova 3000. Elle roule, se perd dans un dédale de maisons et finit par s’arrêter devant un cimetière, tout en longueur. Elle réalise soudain qu’elle est à Thaon-les-Vosges. Elle a une idée.

            Dans les allées du cimetière, Maya se rend à l’évidence : jamais elle ne trouvera la tombe de Clémentine Delait. Trop grand. Au loin, une femme est en train de changer l’eau d'un vase pour déposer un bouquet de fleurs. Elle ne lui est pas d’une grande aide et lui répond froidement que cela fait des années qu’elle n’est pas venue ici. À l’autre bout du cimetière, une autre femme se recueille. En s’approchant d’elle, Maya découvre une tombe récente et un chagrin immense sur le visage de la dame. Elle tourne les talons. Après tout, à quoi bon ? Qu’est-ce que cela lui rapportera de la trouver ?

            Maya prend une allée, regarde machinalement les noms, les années de naissance et de mort, les plaques, les fleurs, souvent séchés, les mots… Clémentine Delait née Clatteaux, femme à barbe. C’est sur cette curieuse épitaphe d’une tombe qui ne se démarquait en rien des autres que ses yeux sont tombés.

            Maya s’arrête un moment devant la dernière demeure de cette inconnue. Un médaillon affiche la photographie de la femme à barbe. Elle la regarde longuement, avec un petit sourire. C’est étrange comme, de hasard en hasard, elle l’a retrouvée.

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