21 Février 2016
Steinseltz, 1916.
J’ignore exactement le jour où Martin Heckmann a reçu son ordre de mobilisation. Probablement un peu avant ce 21 février 1916. À 7 h 15, les canons allemands rugissaient dans le bois des Caures, près de Verdun.
La bataille de Verdun, une guerre dans la guerre. Au-delà des chiffres terrifiants qu’on annonce, qu’on rappelle çà et là aujourd’hui, cent ans après, je me représente mon arrière-grand père, Martin, à l’aube de ses vingt-et-un ans tenir son ordre de mobilisation entre ses mains moites. Le lire, le relire. Était-il fier de se battre pour son pays ? S’était-il résigné à aller combattre ? Songeait-il qu’il ne reverrait peut-être plus son Alsace natale, sa famille, ni même sa fiancée ? Il était probablement hanté par tous ces sentiments. J’imagine le frisson d’horreur ressenti par la jeune Caroline Esch, de trois ans sa cadette, à l’idée qu’elle ne le retrouverait peut-être jamais.
Et puis il y eut cette balle hasardeuse qui le blessa à la tête, ce 4 juillet 1916. Balle à la fois salvatrice puisqu’elle le renvoya chez lui, et saillante puisqu’elle lui imposa de porter une plaque en argent sur le crâne toute sa vie. Il était un peu ce William Tabeshaw, incarné par Robert Mitchum trente ans plus tard dans Till the end of time… les étoiles d’Hollywood en moins. Jamais, il ne s’en plaignit, me dit ma mère.
Il entre dans toutes les actions humaines plus de hasard que de décision, a écrit Gide. Réformé, Martin rentra en Alsace où il épousa Caroline. Caroline, Élisabeth et Martin : trois enfants naquirent grâce à cette balle salvatrice…qui me permet de vous écrire aujourd’hui.