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"Toute ressemblance avec des faits et des personnages actuels ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coincidence..."

La vie d'Adèle: et la lutte des classes est gagnée par...

         C’est émue que je sors du cinéma. Je suis allée voir La vie d'Adèle. La Palme d’or à Cannes, le « chef-d’œuvre » dont « on ne ressort pas indemne », un film « de trois heures, intense, haletant, qui frappe par sa richesse et la subtilité des thèmes abordés », dont on ressort « aussi déchiré, lessivé et meurtri à vie que l’héroïne ».

         …

         J’ai comme l’impression d’avoir été un chouïa arnaquée par des critiques, si unanimement dithyrambiques qu’avec du recul, finalement, ça sonne un peu faux. Le résumé de cette histoire d’amour entre deux femmes est inutile. Retenons simplement sa particularité: Kechiche use et abuse de plans rapprochés. Il arrive à pas de loup dans notre dos et nous pousse dans l’histoire : on est avec elles, en classe, sur le banc, à table, dans le lit. Soit. Cela dérange certains, ce n’est pas mon cas. Pas plus que les trois heures que dure ce film, ni les polémiques autour du tournage, non. Le réalisateur filme Adèle, en gros plan, dans tous ses états (au-delà des scènes de sexe): barbouillée de sauce tomate, en train de baver pendant son sommeil, le nez qui coule... Je ne pense pas que ce soit un gage d'authenticité pour autant que de la montrer dans des... postures somme toute universelles. 

          Pendant les annonces publicitaires, derrière moi, un groupe d’amis s’esclaffe aux propos de l’un d’eux : « Pour une fois qu’on peut se cultiver avec un film de cul ! » C’est certainement une motivation largement partagée par le public que de voir comment ça se passe dans l’intimité des lesbiennes sous le couvert du prestigieux prix de Cannes.

         Ce film ne m'a pas semblé exceptionnel. On dit Kechiche obsédé par le réalisme, pourtant... Cette façon de présenter les prolos ne m'a pas conquise.

         Emma est une fille qui a du style, un regard franc qui cherche au plus profond d'Adèle. Même lorsqu'elle pleure, elle reste classe: ses yeux s'embuent, débordent de larmes mais c'est à peine si on les voit perler sur son visage. Elle sait ce qu'elle veut et où elle va. Ainsi, les dès sont jetés lorsqu'elles échangent sur la philosophie: Emma est cultivée et Adèle, conquise. Chez ses bourgeois de parents, le couple cuisine en dégustant un blanc choisi avec soin. On dîne dans le salon, entouré de tableaux. On explique, avec une condescendance mal cachée, comment déguster des huîtres. On s’apitoie clairement sur le sort d’Adèle qui se destine à une vie morne - celle d’une enseignante - avant de très vite se reprendre : l’essentiel, c’est que cela lui plaise. On fait la part belle à l’hédonisme, d’ailleurs Madame est divorcée. C’est qu’elle a laissé libre court à ses désirs, à ses passions. Et Adèle est la petite copine officielle pour leur plus grand plaisir.

           Adèle est complètement paumée et cela est au début mis sur le compte de son plus jeune âge - d'ailleurs, jusqu'à la fin du film, elle en souffre. Quand elle pleure, c'est toute la misère du monde qui sort de ses yeux. Kechiche a voulu lui donner une allure négligée: mal coiffée, nez jamais mouché, bouche sale. Mais le réalisme a ses limites puisqu'un SIF* irréprochable vient fermer le caquet à ceux qui auront grimacé devant cette hygiène approximative. Au-delà de cette question d'esthétisme, toutes les tares possibles sont attribuées à ce milieu modeste. Chez elle on mange dans la cuisine, la bouche ouverte, on boit de la piquette dans des verres à moutarde, on cuisine des pâtes, présentées dans une casserole au milieu de la table, on s’essuie la bouche d’un revers de la main, le tout avec la télévision pour animer parce qu’on n’a rien d’intéressant à dire. Grossière erreur du réalisateur : le parmesan est servi dans une coupe, avec une cuillère : un simple paquet de gruyère râpé eût suffi... Chez les prolos, le travail est fait pour vivre. Pas de place pour l’épanouissement personnel, il faut trouver un taf solide – au passage, le « plus beau métier du monde » en prend pour son grade ! Emma est reléguée au rang de copine, casée avec un vendeur pour rassurer. Ca fleure bon l'intolérance. Je suis issue de ce milieu et je ne me reconnais pas du tout dans cette caricature.   

        Le fossé qui sépare les deux familles est évidemment de mauvais augure pour cette relation. En filigrane, l’histoire semble dire : quand on naît dans la médiocrité, on meurt dans la médiocrité. Réalisme insupportable? Adèle, l’institutrice, est destinée à faire la bouffe, la vaisselle, les tartines et le café d’Emma. En plus de sa profession et de la vie domestique, elle est condamnée à la triple peine: le succès de sa compagne. Elle subit l'attente, souffre des moues désapprobatrices de ses amis lorsqu'ils entendent "institutrice", s'impose de garder le silence parce qu'elle se sent conne.

      Il y a un petit côté Blue Jasmine dans La vie d'Adèle: Allen excelle aussi dans l'art de caricaturer les classes moyennes, présentées comme la lie de la société - de toute façon, ils ne seront pas là pour s'en offusquer. Et puisque les absents ont toujours tort...

 

         Émue, pourtant, j'ai regagné ma voiture. Parce qu’en sortant, j’ai pris un ticket pour aller voir Sur le chemin de l’école, de Pascal Plisson. Soudain, La vie d’Adèle a pris une autre dimension. C’était certes un joli film, mais comme tant d’autres. Si je suis ressortie indemne de la séance de Kechiche, j’ai en revanche été très touchée en découvrant ce documentaire. Ces jeunes enfants pleins de vie m’offrent un autre regard sur leurs homologues occidentaux…

 

*Sillon Inter-Fessier, c'était pour la petite touche de poésie... 


 

 


 
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M
<br /> Des pâtes, encore des pâtes, toujours des pâtes... voilà le parcours d'Adèle: née prolo, mourra prolo. Eh bien, c'est optimiste, tout ça!<br />
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